« Reconnaissons-le : l'homme s'en moque. Il semble avoir constamment autre chose à faire qu'à s'occuper de son propre corps. »
Novalis, l’Encyclopédie
Le corps exposé, 16 octobre – 17 novembre 2023.
Dans le cadre de la fête des Humanités, organisée par la Faculté des Humanités du 16 au 20 octobre 2023, les trois bibliothèques: Humanités (BHUMA), Michelet et sciences de l'Antiquité (BSA) ont conçu une exposition filante.
Ci-dessous, les textes de présentation, de l'exposition en général puis celle de la bibliothèque Humanités en particulier, suivis de quelques panneaux parmi les 11 exposés à la BHUMA.
Le Corps exposé
Nous disons « le corps » et l’on entend immédiatement « le corps humain » et ses représentations. Si c’est bien de lui qu’il s’agit ici, rien n’était moins évident. En se donnant pour titre « le corps exposé » nous aurions pu nous intéresser à la matière, à la « substance étendue » comme l’aurait caractérisée Descartes, aux corps célestes, aux insécables microscopiques. Nous resterons dans notre monde de représentation et à notre échelle, le macro ou mésoscopique. Nous parlerons et montrerons des corps vivants, en mouvement, des corps articulés, formés et déformés, les nôtres. Il y aura donc un peu de « nous », de notre collectif, dans ces images et ces textes proposés, ce « nous » saisi au prisme des miroirs.
Il s’agit avant tout d’une exposition de bibliothèque. Nous souhaitions, de longue date, proposer une exposition courante dont le commencement aurait lieu dans une bibliothèque, la suite dans une autre, et la fin dans une autre encore. Une unité sur plusieurs lieux, comme le sont les bibliothèques de la Faculté des Humanités. La fête des Humanités nous en aura donné l’occasion. Il s’agit aussi d’une exposition de bibliothèque parce que nous exposons nos ressources bibliographiques et iconographiques. (On les retrouvera listées à la fin du livret.) L’inévitable statut du livre est d’être fermé (c’est ainsi d’ailleurs qu’il se conserve le mieux – et les bibliothèques en connaissent un rayon sur la conservation). Son exception heureuse est d’être ouvert, sa joie, d’être lu. Nous avons forcé ici quelques ouvertures, nous les proposons aux spectateurs que nous engageons à s’en faire les lecteurs.
Pourquoi le corps pour une exposition filante ? Par simplicité, parce qu’il est omniprésent, par évidence parce qu’il traverse les disciplines et les époques qui nous intéressent, par goût du risque et de la difficulté parce qu’il est parfaitement incernable. Sitôt saisi, il s’échappe, sitôt représenté, il est ailleurs et celui d’un autre que nous-même.
De l’Antiquité à l’époque contemporaine en passant par la modernité, ces images que nous proposons, parfois accompagnées de textes, ces textes que nous proposons, parfois accompagnés d’images, signalent à chaque fois des tensions, des enjeux de représentation : là on y conjure la mort, là on célèbre la beauté (par peur de la laideur sans doute), là on met les deux mains et le corps tout entier dans des conflits politiques et sociaux que l’art sait identifier, véhiculer et affûter. Rien de plus personnel que le corps propre, celui qui permet à tous de savoir ce qu’est un corps, rien n’est moins confus que la représentation ou la pensée d’un corps en général. C’est entre clarté et confusion que se situent ces objets visibles.
Nous n’invitons finalement tout un chacun qu’à de se déplacer (physiquement) parmi ces panneaux et d’en goûter (ou pas) ce qu’ils disent de nos formes et de nos états.
Le Corps exposé | Bibliothèque Humanités
Nous avons tenté un voyage dans les textes et représentations des 4 grands champs documentaires que la bibliothèque Humanités s’efforce de couvrir, la pratique des arts contemporains, les lettres modernes, la philosophie et les sciences du langage.
La pratique des arts nous aura amenés à nous interroger sur le corps comme forme et sa propension à se déformer, ou, pour le moins, à ne pas se laisser enfermer dans une forme convenue. Le corps militant fait place à la question, jamais plus vive qu’en ces dernières années, de la différence de représentation entre le corps féminin et masculin. Ce qui là est acceptable, là ne l’est plus, ou l’est moins.
Le fonds aussi riche qu’abyssal de la littérature nous a permis de reproduire quelques textes où écrivains et poètes parlent de leur propre corps. Qu’est-ce donc qu’écrire avec un corps et parfois sur lui ? Comme s’il était d’ailleurs possible de faire sans ou de l’oublier. Nous proposons par ailleurs 5 panneaux issus d’un travail en atelier d’écriture dont la thématique (forme de commande pour cette exposition) était Au lieu du corps (1), à la fois point référent de l’espace (le nôtre, toujours), ou lieu utopique pointant vers un ailleurs. Au lieu de corps, quoi donc ?
La philosophie aura donné voix à cette énigme du « corps sans organe », reprise par Gilles Deleuze et Félix Guattari des flèches poétiques d’Antonin Artaud, et par Deleuze dans son essai sur le peintre Francis Bacon. La voix de Michel Foucault, datant de 1966 et scandant Le Corps utopique rappelle qu’une exposition peut aussi s’adresse aux oreilles (qui n’en sont pas moins corps). Nous aurions aussi pu nous arrêter sur le corps comme mesure de toute chose et mesure de la mesure : le pouce, le pied, la coudée... et réfléchir au destin de la « base dix » qui gouverne le monde technico-scientifique si l’homme n’avait eu (par exemple) que quatre doigts à chaque main.
Les sciences du langage et notamment la langue des signes (ici française) nous auront permis de montrer à quel point le corps est un lieu d’expression. Il l’est par nature (on appelle cela mimique, par exemple), mais il peut l’être dans un langage articulé et entretenu, avec ses règles. C’est la beauté de la langue des signes qui émerge du silence avec une forme de souveraineté réparatrice et consolide la communauté.
Entre les regrets de n’avoir pu en faire plus et le plaisir de transformer des contenus de livres en objets exposés, nous remercions tous les enseignants-chercheurs de la Faculté des Humanités pour leurs avis, leurs suggestions, et pour certains, leurs contributions.
F. Gendre
(1) Les autrices et auteurs des textes de Au lieu du corps sont désignés par des initiales. Les voilà résolues : FB, Frédéric Briot ; MB, Marie Bulté ; ChatGPT (ce n’est pas un nom, donc n’a pas d’initiales) ; LF, Léa Faes ; FG, Frédéric Gendre ; CJG, Caroline Jacot Grapa ; AM, Ariane Martinez ; ST, Sarah Troche.